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LA VIEILLE

La vieille

Je suis vieille, là-dessus le calendrier de janvier  est impitoyable.

Il marque à l’encre noire, indécent, les années qui n’en finissent pas,

Et depuis si longtemps je devrai m’habituer à ce cruel vocable

D’être vieille !  Alors que ma tête ne se souvient  que d’hier, là-bas,

Dans  un lointain qui m’est si proche, de ce hier où mes vingt ans

Pleins d’espoirs et de promesses, me faisaient miroiter un mari, des enfants,

Une vie d’amour et de tendresse, de travail mais de tant de joie.

Une maison pleine aux fêtes de famille où si nombreux ils venaient déguster

Ce repas embaumant ma cuisine, rôti de la cocotte en fonte, mon gratin dauphinois,

Au milieu des cris, des rires, des disputes parfois ! Quel bonheur, ils tous étaient présents !

 

Ils m’ont déposée comme un objet inutile, encombrant, un morceau de chair insignifiant,

Dans ce qu’ils appellent un Ehpad ! Ils ont bonne conscience, je suis entourée !

Euh oui…  d’un personnel hospitalier qui ne va pas s’apitoyer sur chacun d’entre nous

S’il ne veut pas lui-même y perdre sa santé, et fait  ce qu’il peut, courant sans cesse

D’une chambre à l’autre, torchonnant, râlant qu’on l’appelle pour la troisième fois,

Ou alors que pris dans le flot incessant d’une journée dans laquelle il faut caser l’emploi du temps,

On ne peut pas toujours rester humain, et bon an mal an, ils sont devenus ma  nouvelle famille !

Pas celle qui vous embrasse le soir en partant !  Celle à qui vous devez montrer vos fesses,

Celle qui vous lève le matin bien trop tôt, cramponnée à sa pendule, pour le petit-déjeuner,

La toilette ! Bien entendu les enfants n’ont pas songé à quel point il était les premiers jours,

Humiliant d’être infantilisée, vue nue comme au zoo ! Alors que durant tant d’années

Ce fut moi le chef de file, dirigeant la maison, doublement  présente dès que vous étiez malades,

Réparant vos bobos, ressentant vos chagrins, heureuse dès que vous l’étiez !

 

Vieille, inutile, il vous semble aujourd’hui que si le corps ne suit plus, la tête soit  bien là !

J’ai cessé d’espérer ! J’attends la mort bénie qui me fera retrouver celui que j’ai perdu

Trop tôt pour moi, car depuis, je suis là, seule, vide, désespérée du fond de mes entrailles,

De n’être plus pour vous que ce paquet encombrant qui ne veut pas mourir !

Alors quand tenaillée par l’angoisse d’être là encore au réveil, sans espoir de visite,

Je reviens en arrière évoquant les Noël, les anniversaires, les vacances à la mer,

Et je radote comme chaque jour, au personnel soignant, que je fus une mère, très entourée,

Que j’étais active, aimée de mes collègues de travail, tout comme dans les associations,

Que l’on cherchait autrefois ma compagnie ! Oui, ils le savent, je le redis tous les matins !

Et je suis devenue, à l’aube de mes cent ans, cette vieille radoteuse qui évoque son temps !

Marie-France ROUX BALANDRAS 22.05.2014



22/05/2014
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